Le TGI de Paris confirme la légalité de l’exploitation des sites « demanderjustice.com » et « saisirprudhommes.com » destinées à faciliter l’élaboration de lettres de mise en demeure et la saisine des tribunaux par internet.
Créée en mai 2012, la société Demander Justice exploite deux sites Internet que sont www.demanderjustice.com et www.saisirprudhommes.com. Ces sites mettent à la disposition des internautes, contre un paiement en ligne, des formulaires-type de mise en demeure et permettent de saisir, sans recourir à un avocat, et afin de régler un litige, selon le cas, une juridiction de proximité, un tribunal d’instance ou encore un conseil des prud’hommes.Le 11 janvier 2017, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a confirmé la légalité des prestations des deux sites Internet, suite à l’action civile du Conseil national des barreaux (CNB) et de l’Ordre des avocats au barreau de Paris visant à interdire leur exploitation.
Concernant la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir invoquée par la société Demander Justice, le TGI a estimé que les parties demanderesse et intervenante, instituées pour veiller à la protection des droits des avocats et qui étaient, en vertu de ces textes, parfaitement fondées agir en justice en se prévalant de faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif qu’elles représentent, doivent chacune être déclarées recevables dans leur action.
Sur les prétendues activités d’assistance et de représentation imputées à la défenderesse, le TGI a rappelé que la société Demander Justice a mis en place un traitement automatisé qui permet à l’internaute après avoir renseigné son identité et celle de son adversaire, puis après paiement d’une somme, de choisir un modèle de mise en demeure qui correspond à son litige, de rédiger une déclaration de saisine du tribunal ou du conseil de prud’hommes, de motiver et de chiffrer sa demande, y incluant éventuellement le remboursement de frais de justice, de joindre toutes pièces justificatives numérisées, le dossier étant ensuite envoyé à un centre de traitement postal qui l’imprime, le met sous pli et l’expédie, les déclarations de saisine des juridictions étant établies et validées informatiquement par le client lui-même. Il a indiqué qu’il n’apparaît aucunement démontré que les prestations ainsi assurées relèveraient de la mission traditionnelle d’assistance ou de représentation en justice telle que peut l’accomplir un avocat, celles-ci s’avérant dépourvues d’une véritable valeur juridique ajoutée ainsi que de toute dimension stratégique, outre l’absence de fourniture de conseils personnalisés et le défaut d’une analyse quant à l’applicabilité au cas d’espèce des normes et informations juridiques mises à disposition, lesquelles sont par ailleurs aisément accessibles. En particulier, il n’est pas démontré, selon le TGI, que la détermination de la juridiction territorialement compétente pour connaître du litige résulterait d’une analyse in concreto réalisée au cas par cas.
Le TGI a également considéré qu’il ne résulte pas plus de ce qui précède que la transmission à la juridiction du dossier constitué par le justiciable devrait être qualifiée d’acte de représentation alors qu’il s’agit d’une prestation purement matérielle qui n’est pas accomplie au nom du mandant par une personne désignée par celui-ci pour le représenter. Il a souligné que la circonstance que soit rendu accessible, via les sites mis en œuvre par la société Demander Justice, un simulateur d’indemnisation ne saurait non plus caractériser une activité d’assistance réservée aux avocats, quand bien même il apparaît que cet outil est paramétré en fonction des règles légales applicables en cette matière, alors qu’il s’agit encore d’une prestation purement matérielle fondée sur une règle de calcul combinant les données introduites par l’internaute avec celles collectées par ailleurs et issues de la production judiciaire.Enfin, le TGI a précisé qu’il n’apparaît pas non plus établi que la société Demander Justice se livrerait de manière habituelle à des consultations juridiques ce qui ne saurait se déduire du seul fait que celle-ci ait mis en place une assistance en ligne ou encore emploie des juristes, ni de publications de curriculum vitae de la part de ceux-ci, ni de la production d’une unique attestation émanant d’une cliente relatant une conversation téléphonique.
Concernant les prétendues pratiques trompeuses imputées à la société Demander Justice, la partie demanderesse soutenait essentiellement que le procédé de signature électronique mis à disposition par la société Demander Justice n’est pas fiable en particulier faute de vérification de l’identité réelle du requérant et que le logo qu’elle utilise est trompeur.Le TGI a constaté qu’à l’issue du process mis en place par la société Demander Justice, la juridiction est en tout état de cause formellement saisie, ce par la réception d’une déclaration au greffe, peu important à cet égard l’exactitude des éléments que cet acte contient et notamment ceux relatifs à l’identité des parties, le greffe ne pouvant en aucun cas apprécier de sa recevabilité s’agissant d’une question qui relève du seul juge et, le cas échéant, du régime de nullité des actes de procédure.Il a précisé que, dans l’hypothèse où la saisine viendrait à être ultérieurement contestée, en particulier au motif que l’exemplaire physique de la déclaration adressé à la juridiction ne comporte pas une signature authentique, dès lors que demandeur comparaîtrait à l’audience et faute pour le défendeur de prouver le grief que lui aurait causé l’irrégularité qu’il soulève, la nullité ne saurait pas être prononcée.Par ailleurs, selon le TGI, il n’apparaît pas démontré par la partie demanderesse, qui a procédé à cet égard par affirmation, que le logo figurant sur les sites Internet de la société Demander Justice reprendrait la symbolique de la justice et présenteraient un caractère trompeur “en ce qu’il pourrait laisser croire au grand public que la société Demander Justice est une émanation du service public de la justice”.
Enfin, concernant l’utilisation de la marque Demander Justice et sur le prétendu caractère trompeur des dénominations « Demander Justice » et « Saisir prud’hommes », le TGI a estimé qu’en considération des prestations fournies par la société Demander Justice dont il n’a pas été retenu qu’il s’agirait d’activités illégales d’assistance ou de représentation en justice entrant dans le champ du monopole réservé par la loi aux avocats, il apparaît que la marque “Demander Justice” joue sa fonction d’identification de l’objet auquel elle s’applique et ne saurait encourir la nullité au regard des dispositions précitées.Il a conclu que le caractère illicite ou trompeur de la dénomination sociale et des noms de domaines utilisés, parfaitement cohérents avec la marque, n’apparaît pas non plus démontré au vu des éléments de l’espèce.
– Tribunal de grande instance de Paris, 11 janvier 2017, Conseil National des Barreaux et Ordre des Avocats au Barreau de Paris c/ SAS Demander Justice – https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-grande-instance-de-paris-jugement-du-11-janvier-2017/