Dans l'affaire Vincent Lambert, aucun des éléments constitutifs de la voie de fait n’est réuni : le juge judiciaire n’est donc pas compétent. La Cour de cassation casse donc l’arrêt de la cour d’appel Paris qui avait ordonné la reprise des soins du patient.
Suite de l'affaire Vincent Lambert qui est plongé dans un état végétatif chronique à la suite d’un grave accident de la circulation.
Le 30 avril 2019, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rejeté la demande des parents, du demi-frère et d’une sœur de Vincent Lambert visant à ce que la France suspende la décision d’arrêt des soins.Ils ont alors saisi le comité des droits des personnes handicapées de l’ONU qui a donné six mois à la France (Etat signataire de la Convention relative aux droits des personnes handicapées) pour présenter ses observations sur le dossier. Le comité a demandé que les soins se poursuivent jusqu’à ce qu’il ait pu examiner la réponse de l’Etat français.L’Etat français a répondu au comité de l’ONU qu’il n’était pas en mesure de réclamer le maintien des soins.
Le 17 mai 2019, le tribunal de grande instance de Paris, saisi par les parents, le demi-frère et une sœur du patient, s'est déclaré incompétent pour ordonner à l’Etat de prendre les mesures demandées par le comité de l’ONU. Selon le TGI, l’Etat n’est pas l’auteur d’une "voie de fait".Pour mémoire, lorsque l’Etat prend une décision qui porte atteinte à la liberté individuelle et que cette décision n’est pas manifestement rattachée à un pouvoir qui lui appartient, on parle de "voie de fait". Les litiges qui opposent les justiciables à l’Etat sont tranchés par le juge administratif. Mais par exception, le juge judiciaire est le juge des voies de fait. En effet, selon l’article 66 de la Constitution de 1958, le juge judiciaire est le gardien de la liberté individuelle.
Le 20 mai 2019, la cour d’appel se déclare compétente, considérant que l’Etat est l’auteur d’une "voie de fait". Elle condamne l’Etat français et lui ordonne de prendre toutes les mesures provisoires demandées par le comité de l’ONU. Les soins apportés au patient sont donc maintenus.
Dans un arrêt du 28 juin 2019, la Cour de cassation rappelle que l’article 66 de la Constitution de 1958 fait du juge judiciaire le gardien de la "liberté individuelle". Selon le Conseil constitutionnel, seules les privations de libertés peuvent être qualifiées d’atteintes à la "liberté individuelle" (garde à vue, détention, hospitalisation sans consentement). Le droit à la vie n’entre pas dans le champ de l’article 66. Dès lors, le refus de l’Etat d’ordonner le maintien des soins vitaux prodigués à ce patient ne constitue pas une atteinte à la liberté individuelle.
Le code de la santé publique prévoit la possibilité pour un centre hospitalier universitaire (CHU), sous certaines conditions, de cesser de prodiguer à un patient des soins vitaux. La justice administrative a validé la décision du CHU en charge de Vincent Lambert d’arrêter les soins. La Cour européenne des droits de l’Homme a conforté la France dans son analyse. Dès lors, en refusant d’ordonner le maintien des soins demandé par le comité de l’ONU, l’Etat n’a pas pris une décision qui dépasse manifestement les pouvoirs lui appartenant.
Aucun des éléments constitutifs de la voie de fait n’est réuni : le juge judiciaire n’est donc pas compétent dans cette affaire.
Dans ces conditions, la Cour de cassation n’avait pas à se prononcer sur le caractère contraignant ou non d’une demande de mesure provisoire formulée par le comité des droits des personnes handicapées de l’ONU.
La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel sans renvoyer l’affaire devant un nouveau juge. Elle déclare la juridiction judiciaire incompétente.
- Communiqué de presse de la Cour de cassation du 28 juin 2019 - https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/communiques_presse_8004/28_juin_9397/lire_communique_43006.html
- Note explicative de la Cour de cassation du 28 juin 2019 - “Note explicative relative à l’arrêt n° du 28 juin 2019 (19-17.330 ; 19-17.342) - Assemblée plénière” - https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/notes_explicatives_7002/relative_arret_43003.html
- Cour de cassation, assemblée plénière, 28 juin 2019 (pourvois n° 19-17.330 et 19-17.342 - ECLI:FR:CCASS:2019:AP00647) - cassation sans renvoi de cour d'appel de Paris, 20 mai 2019 - https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/647_28_42871.html
- Constitution du 4 octobre 1958 - https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Constitution-du-4-octobre-1958